samedi 11 juin 2011

Tu(e)-moi.


« J'ai été choisie il y a quelques temps pour un test. Un test sur l'être humain ; sa sociabilité, ses peurs, ses faiblesses. Sa pensée et sa façon d'agir.

J'aurais bien refusé, j'aurais préféré refuser. Ce genre d'expériences ne m'attire pas vraiment.
Pas le choix, de toute manière. Et puis, je suis curieuse. Besoin de savoir. J'ouvre donc les yeux, carnet à la main. Pendant ce temps, je ne serai que spectatrice du monde, alors que mon attention se porte sur celles qui devront être jugées. Inspectées. Contrôlées ?
Je remarque que je ne dois pas être la seule à être embarquée dans cette expérience. Bien vite, certains font leur rapport sur quelqu'un en particulier, cela aux yeux de tous. Ils portent la vérité sur leurs épaules, l'imposant même à ceux qui n'en sont pas concernés. Tu es. Tu es. Tu. Je. Ils crachent leurs mots, "Vous n'êtes rien. Faites-moi confiance, Je le sais. Fais-moi confiance, Je l'ai vu. JE.".


Ecoutez-les. S'ils le disent, c'est qu'ils doivent avoir raison. Oubliez-moi. Ecoutez-les. Oubliez qui ?


Je tente de comprendre cette raison. D'où vient ce besoin de faire part de sentiments aussi affreux au monde entier ? Vient ensuite le moment où je remarque que ces phrases sanglantes ne généralisent pas. Elles visent. ''Tu''. Mais qui es(t)-''tu'' ? Personne ne le dira. En tout cas, ce ''tu'' es(t) décrit comme la pire des merde. La pire. ''Tu'' a(s) mis le feu à l'humanité. ''Tu'' l'a(s) détruis.'' ''Tu'' a(s) souillé.'' ''Tu'' es(t) atroce.'' ''Tu'' n'a(s) pas de coeur'' ; citent ces personnes. Mais qui es(t)-''Tu'' pour être jugé (juger) comme ça ?

Mon carnet de notes reste vide. Les mots ne me viennent pas. Je ne peux que continuer de lire avec effroi toutes ces paroles de haine distribuées gratuitement.

Je ne comprends pas. Pourquoi juger des anonymes. Pourquoi les juger aux yeux de tous. Pourquoi cracher de la haine créée pour quelqu'un sur une foule entière. Pour leur donner la rage ? Dans l'attente que la personne concernée réponde à son tour aux messages publics qui parlent d'elle sans pourtant citer son nom ? Qu'elle réponde de la même façon ? Et puis ? Ensuite ? L'autre répond encore, puis l'autre, puis l'autre, puis l'- .
Je ne sais pas s'il est question de faiblesse, de recherche d'aventure ou d'envie de sang. Mon carnet reste vide. Je ferme les yeux.


Trois semaines se sont déroulées depuis le début de l'expérience.


Mon attention reste portée sur mes ''collègues'' qui continuent de remplir leur rapport au monde. Ils semblent bavards. ''Tu'' les inspires. Méchamment. Parce qu'après trois semaines, je n'aurai toujours pas vu aucun signe de ''tu'' (toi). Pourquoi cette personne n'a-t-elle pas décidé de venir répondre aux avances du bourreau ? La guerre semble pourtant déclenchée. 'Tu'' sait(s), c'est bien de lui (toi) que l'on parle. Je pense que ''Tu'' lit(s). Que ''tu'' lit(s) avec attention, grande attention. Qu'à chaque insulte, son (ton) cœur se brise un peu plus. Qu'à chaque fausseté, déclaration de haine, injustice, le couteau s'enfonce un peu plus dans la plaie. Le plus simple serait de répondre, ''tu'' sait(s). Et ''tu'' sait(s), je finis par en être persuadée. ''Tu'' ne doit(s) juste pas avoir envie de répondre aux coups. ''Tu'' ne doit(s) pas avoir envie d'entrer dans la bataille, pour infliger la même chose à ceux qui ont la rage.

J'ai compris. ''Tu'' préfère(s) endurer. En silence, l'injustice du monde. L'injustice de ceux qui ne prennent pas le temps de réfléchir au bien ou au mal. Bien évidemment, ''tu'' ne peut(x) pas être le mieux placé pour décider et juger de la mentalité de l'autre. C'est peut-être pour ça aussi que ''tu'' ne dit(s) rien. À moins que ''tu'' ne soit(s) lâche ?


''Tu n'es rien, tu ne vaux rien, tu. Je Je Je le sais. J'ai J'ai J'ai raison. Regarde-moi. Ecoute-moi-moi-moi-moi. Tu. N'es. Rien.''


Faut-il donc en déduire que ''tu'' n'es(t) rien ? Je n'en suis pas sûre. Je ne sais même pas qui sont ces personnes qui écrivent tout ce charabia ! La seule chose que je sais, c'est qu'elles ont été choisies au même rang que moi pour vivre cette expérience. Et il semblerait que ''tu'' les inspire(s) énormément. Mais pourquoi ''tu'' les inspire(s) si ''tu'' n'es rien ? Jalousie ? Besoin de se faire remarquer ? Ou peut-être juste pour pouvoir remplir son carnet de notes ? Ou un peu des trois.

Ils m'ont en tout cas mis sur la voie. Ca s'éclaircit pour moi, je pense arriver à la fin de l'expérience. Je ne connais pas ces personnes. Mais ces personnes semblent nous connaître (''Je te connais, je sais ce que tu as fait, ce que tu as dit, ce que tu vas faire, ce que tu es''). Je crois qu'ils ne font pas parti de l'expérience. Ils jugent, mais ne sont pas testeurs. Ils vont à la rencontre des lâches. Ils devinent. Ils savent. Ils contrôlent. Ils sont. Oui, J'ai compris.

Ils ne font que juger les autres. Ils croient avoir la science infuse. Ils ne font que juger les autres. Ils croient connaître la race humaine mieux que n'importe qui. Ils ne font que juger les autres. Ils se trompent. Ils ne font que juger les autres. Ils sont faux. Ils ne font que juger les autres. Ils (Je) ne font (fais) que juger les autres.

Je sors mon carnet de notes, et y note la conclusion après avoir étiqueté mes cobayes :

''Tu n'es rien. Tu sais sans savoir. Tu déclares voir les yeux fermés. Tu parles sans connaître les mots. Tu n'es rien. Je t'ai observé, Je le sais. JE.'' »



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