lundi 12 juillet 2010

12.2007 - BREAK AWAY.


J'ai froid. La nuit est tombée depuis bien longtemps, et c'est enveloppée dans une couverture que j'attends sagement, assise devant ma fenêtre.

Quatre heures, il est temps. Je n'ai pas mis de réveil, parce que je n'ai pas dormi. Déjà habillée, je me débarrasse silencieusement de ma couverture, et la pose sur mon lit, prends mon sac, l'ouvre, et vérifie qu'il y a bien toutes mes affaires : MP3, prise pour le recharger, portefeuille avec carte d'identité, affaires de toilettes, et un minimum de vêtements. Je prends un stylo posé sur mon bureau, et déniche une feuille blanche, puis y inscris :

« Je pars.
C'est pas vous qui me faites chier, c'est cet endroit qui ne me correspond pas.
Bis bald ! »

Je pose mon sac sûr une épaule, attrape le mot fraîchement écrit, éteins la lumière de ma chambre, et ouvre lentement la porte qui me mène sur le palier. Je descends les escaliers le plus silencieusement possible, et arrive dans le salon. Les deux chats de la maison arrivent en s'étirant paresseusement, et viennent se frotter contre moi à la recherche d'une quelconque personne qui pourrait leur donner un peu à manger. Je les caresse tous les deux un instant, et pars fouiller dans le sac de ma mère, à la recherche de sa carte de crédit. L'ayant trouvé, je pars ensuite chercher un timbre, prends une enveloppe, et y inscris l'adresse de la maison. Au dos, j'écris un petit mot d'excuse Je colle le timbre, l'enfonce dans ma poche, et pars chercher mon manteau d'hiver. Je fouille les poches, et trouve mes clés de maison. Je n'en aurai pas besoin... Je les pose sur la table.

Il ne faut pas que je tarde. Je pars poser le mot sûr la table du salon, attrape mon sac, la carte de crédit, fais un petit au revoir aux deux chats qui me regardent en ronronnant, ouvre la porte du couloir, puis sors. Le vent frais me fait du bien. Je claque la porte, et m'avance dehors. Je marche rapidement, regardant le sol. Je mets ma capuche de gilet sûr la tête, les joues déjà engourdies par le froid. Arrivée à la banque, je retire un bon nombre d'argent de la carte de ma mère et la glisse dans l'enveloppe timbrée, que je vais déposer à la poste.
Chose faite, maintenant direction la gare... Je sors une cigarette et la coince entre mes lèvres, avançant sûre de moi, connaissant le trajet à effectuer. Je l'allume, et tire une bouffée, puis regarde l'heure : Cinq heures. Le soleil commence à se lever, et des voitures passent à des vitesses démesurées dans les rues. Au bout d'un certain temps, je vois l'horloge de la gare, puis un train qui passe. Je rentre, il n'y a pas grand monde pour le moment. J'enlève ma capuche et me dirige au guichet « grandes lignes », et fais face à une femme plutôt âgée, qui lève la tête d'un air vaguement intéressé.

« Bonjour.
- Bonjour.
- J'aimerais un billet pour Stuttgart, s'il vous plait. À l'horaire le plus tôt possible. »
Elle me regarde d'un air bizarre, pianote deux minutes sur son petit ordinateur, et relève les yeux vers moi.
« Dix heures trente. Vous devrez descendre à Paris, et reprendre le train de midi quarante-cinq. Ça vous convient ?
- C'est parfait.
- Ça fera 279€. »
Je sors une liasse de billet, et lui donne six billets de cinquante euros. Elle les prend, me rend la monnaie et me tend les billets d'un air froid.
« Merci.
- Bon voyage mademoiselle.
- Ha, et, tâchez de sourire un peu plus, ça fait toujours plaisir aux gens qui se lève à pas d'heure pour prendre un train qu'ils n'ont pas forcément envie de prendre. »
Elle semble surprise ; je pars avant qu'elle ait pu réagir. Je regarde mon billet, et souris malgré-moi, puis sors de la gare fumer une cigarette. Je sors mon mp3, et mets les écouteurs sûr mes oreilles. Les premières notes de Schwarz me transportent.

Si je n'avais pas mis le son aussi fort, je n'aurais pas entendu ces deux personnes qui passaient. « T'as vu ses veuch à cette clocharde ! ».

Je sors mon portable, clope au bec, il est sept heures. Les lycéens commencent à affluer dans la rue, leur mine éteinte et leurs yeux rivés sur le sol, mais moi je n'irai pas au lycée aujourd'hui. Cette pensée suffit à me sentir bien. La fin de la chanson me remet les pieds sur terre, et je remarque que ma cigarette s'est éteinte. Je la jette, et rentre dans la gare. Je vais m'asseoir sur un banc, et observe les passants un long moment, avant de m'endormir.

« Wouhou, when I feel heavy metal ! »

J'ouvre les yeux, les frottes énergiquement, et change la musique de mon mp3. La grande horloge affiche dix heures. Il y a moins de monde que tout à l'heure. Un clochard passe devant moi, et me tends la main « Z'auriez pas une p'tite pièce ? ». Je cherche au hasard dans ma poche, et lui donne un billet de cinquante euros, qu'il prend d'un air émerveillé, étonné, heureux, « Dieu vous le rendra ».

Je me lève, j'ai mal à l'épaule, j'ai froid. Le tableau d'affichage indique au-dessus de ma tête « Direction Paris Est – 10h30 – Train n°23876 – Voie 9 ». Je baille et m'avance vers les voies ferrées. Toujours aucun message sur mon portable.

« Billet s'il vous plait ». Le train roule, je sors mon billet et le présente au contrôleur, qui me le rend en souriant. Je lui rends son sourire, aimable, puis remets mes écouteurs sûr la chanson adaptée au moment „Ich fühl mich, claustrophobisch eng. Mach platzt, bevor ich mir’n Ausweg spreng. Du hälst, mich nicht auf. Ich brech aus.“ . D'un coup, j'ai vraiment l'être d'être une rebelle de la société. Je change de musique, me cale confortablement, et m'endors.

Sursaut. Je sors mon portable qui vibre, et vois inscrit « Papa ». Je regarde l'heure, et le remets dans ma poche. Au même moment le train s'arrête, annonçant Paris. J'ai le timing.

Marchant d'un pas rapide, le panneau d'affichage m'a conduite à la voie 12. J'ai le temps de fumer une dernière cigarette sûr le sol français avant de rentrer dans le train, remplit d'allemand. Une fois assise, je me rends compte que je n'ai pas prévu à manger.

« Bonjour. Vous auriez du chocolat chaud ?
- Je suis désolée mademoiselle, il n'y a pas de boissons chaudes disponibles sur ce trajet, comme indiqué sûr cet écriteau. Vous désirez peut-être une boisson fraîche ? Il y a tout ce que vous pourriez désirer, mais, ho ho, pas d'alcool pour vous, vous n'avez pas l'air d'être majeur enfin peut-être que vous l'êtes mais vous savez je ne sais pas vraiment deviner l'âge chez les gens, y en a toujours qui sont plus vieux qu'ils ne le paraissent, ou bien le contraire_
- Mettez-moi de l'eau, dans ce cas-là. Vous auriez un sandwich au jambon beurre ?
- Désolé, il n'y en a plus en réserve, mais peut-être succomberez-vous à la tentation d'une salade à la crevette ? Bon après je ne dis pas que vous êtes grosse, ou que vous devriez faire un régime, hein, non non, ne croyez pas ça, c'était juste pour vous montrer qu'on a tout le nécessaire pour les longs trajets et puis_
- Un croque-monsieur, vous auriez ça ?
- Il court il vole il est là ! »
Il part dans le fond du wagon et revient avec une sorte de truc chaud avec du fromage dégoulinant, ainsi qu'une bouteille Evian. Je lui tends un billet de cinquante euros, non non j'ai pas de monnaie désolée. Je retourne à ma place et déguste ce modeste repas.
Je branche mon mp3 sûr une prise de courant, et écoute attentivement deux personnes qui parlent de « fußball ». Sursaut. Je sors mon portable, qui affiche « Sms reçu ». Christian. « Putain Alex', tu fous quoi, papa m'a appelé et il sait pas où tu es ! Réponds » Je regarde l'heure et le mets dans ma poche. Dans trois heures, je serai sûr le sol allemand.

Nous arrivons en gare de Stuttgart. Préparez vos affaires, et veillez à n'avoir rien oublié. Wir werden in Bahnhof von Stuttgart kommen, bereiten Sie Ihre Geschäfte vor bitte, und überprüfen dass Sie haben nichts vergessen.

Sac sûr le dos, capuche sûr la tête, clope à la main, et écouteurs dans les oreilles, je pose les pieds sur le territoire allemand. Sourire. Je prends une bouffée de tabac, et m'avance dans la rue, observant les passants. Ils sont nettement différents des français. Moins pressés, habillés plus ringards, bons à jouer dans Derrick. Ça me met de bonne humeur. Mégot éteint, je me rends au guichet de la gare, j'enlève ma capuche. Une personne devant moi prend un billet pour Essen, je savoure son accent. C'est un homme au guichet, les cernes à ses yeux le rendent vieux et laid. Je m'avance, et enlève mes écouteurs, qui pendent maintenant à mon cou.
« Hallo.
- Hallo.
- Ich möchte eine Karte für Magdeburg, bitte. »
Il me regarde d'un air bizarre, pianote deux minutes sur son petit ordinateur, et relève le regard vers moi. Il me parle si rapidement, que je n'en saisis que deux mots, je lui demande de répéter, il me parle en anglais.

« - There's at ten to six.
- Ok, das ist gut.
- Einhundertachtundzwanzig bitte. »
Je sors les cinq billets de cinquante euros qu'il me reste, et lui en tends trois. Il me rend la monnaie, et me tend le billet.

« Lächeln, das Leben ist schön ! »
Je lui souris d'un air forcé, surprise par ses paroles. D'où est ce qu'il se permet de parler comme ça à ses clients ? Je remets mes écouteurs sûr les oreilles, et me dirige au tableau d'affichage, qui affiche déjà « Leitung Magdeburg – 17h50 – Zug n°56269 – Weg 7 ».
Je marche d'un pas rapide, composte, entre et m'assois. Les allemands ont même un rire particulier de celui des français. Sursaut, affiche « Papa ». Il est six heures moins dix. Une personne court, s'arrête à la porte du train, essaye vainement de l'ouvrir, alors qu'ont déjà retentit les coups de sifflets, et que le train se met lentement à rouler vers l'est. Sursaut, affiche « Papa ». Je regarde le paysage allemand défiler, pendant que Bill se permet de chanter en anglais Break Away. I've got other plans today, don't need permission anyway. Je change de musique, et me relaxe sûr Relax. Take is Easy.

Wir werden in Bahnhof von Magdeburg kommen, bereiten Sie Ihre Geschäfte vor bitte, und überprüfen dass Sie haben nichts vergessen.

Je prends mes affaires, comme une impression de déjà-vu. Je pose un pied, puis l'autre, ma main se porte instinctivement à mon paquet vide. Dix-neuf heures. Le Tabak est encore ouvert. Ah bon, vous n'avez plus de Marlboro ? Tant pis, mettez-moi les moins chères. Danke schön.

Je sors, la nuit est tombée depuis peu. Des gens s'attardent devant des vitrines de magasins, moi je m'attarde devant leurs paroles. Sursaut, affiche « Christian ». Je vais m'offrir un repas allemand, composé de délicieuses « Würste », mon dernier billet de cinquante y passe. Il me reste à peine quarante euros, les hôtels sont trop chers. Je m'assois sûr un banc, capuche sur la tête, ventre rempli, clope dégueulasse au bec.

C'est alors que je me demande ce que je fais là. Je suis dehors, en Allemagne –Magdeburg, plus précisément, assise à terre, sans argent pour un billet de retour, seule.

Je souris.

Je suis chez moi, et c’est la chose dont j’avais toujours rêvé. Je m'allonge, me pelotonne contre mon sac et m'endors.


Sursaut, affiche « Papa ». Seize fois.


Mon ventre gargouille et j'oublie en allant manger un steak frites salade - coca – tarte aux fraises - vingt-six euros et quarante-six centimes - clope dégueulasse. J'ai plus d'argent, la bouffe coûte cher ici. Le reste est parti en clopes.

L'endroit où j'ai dormi cette nuit est tapissé d'urine maintenant, on m'a dégueulassé ma maison, je marche un peu plus loin. Sursaut, affiche « Papa ». Il est treize heures. Il n'y a pas beaucoup de monde dans la rue, mais je me sens bien.

Je marche, un peu plus loin, jusqu'à un centre commercial, emprunte des toilettes, me change et me rafraîchis. Je rempli mon après-midi à écouter l'accent allemand, et à savourer lorsque j’arrive à comprendre. Quelquefois. Je repense à mes parents, et à leur vie typique en France. Moi, en Allemagne, je suis bien. Sursaut, affiche « Papa ». Il est dix-neuf heures. Mon ventre gargouille comme pour le prouver. Vendredi. Les S2 avaient DS de maths ce matin. Clope au bec dégueulasse, je m'allonge et regarde les pieds des passants défiler. Une pièce tombe devant moi, alors que je m'endors.

Sursaut, affiche « Papa », minuit. Après ça, je n'ai plus réussi à m'endormir. Le ventre qui gargouille, le froid, les clopes dégueulasses.

Sept heures, je me dis que j'ai l'air conne, comme ça, blanche comme un cul et les yeux à demi fermés. Je finis par m'endormir.

« Guck an seine Haare ! »

J'ouvre les yeux, regarde les deux adolescents qui parlent de mes cheveux. L'un a des cheveux beaucoup plus extravagants que les miens, dont il est en train de se moquer. Ils sont en effet maintenus en l'air, comme s'il les avait induits de colle. Il est maquillé autour des yeux, et ses habits sont très étroits. Je me demande s'il n'est pas homosexuel. L'autre, un rappeur à dreads, rie à en vomir, une épaule posée sur l'épaule de son frangin. Frangin, parce que Tom & Bill Kaulitz.

« - Hey, ich verstehe.
- Stadtstreicherin ! »

Ils partent, s'esclaffant encore. Je ne comprends pas pourquoi, mais qu'importe, je suis heureuse. Je les aie vus. Au même moment, dans les écouteurs de mon mp3 passe Frei Im Freien Fall.

Mille yeux contre moi, contre tout. Pour l'instant, et alors, tout est gelé. Je m'arrête dans la chaleur, pour cette tentative d'évasion.
Je suis libre dans la liberté, et nulle part autrement, libre dans la liberté libre, je ne peux plus autrement être libre.

Ils ne sont déjà plus que deux points perdus au milieu de la foule, mais mon sourire est encore présent, alors que je les regarde disparaître. Je lève les yeux, et me rends compte que chaque passant m’observe sans se cacher, accélérant le pas. Je ramasse la pièce que quelqu'un m'avait lancée hier soir, et la mets dans ma poche, puis mets ma capuche. Sursaut, affiche « Papa ». J'ai froid.